• Jeu de la Dizaine des Blogueurs : Thème 4 : La chanson déclic qui nous a permis de découvrir un autre univers musical par Hervé et Audrey

    Commençons pour une fois par le choix d'Hervé...

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    La chanson déclic, qui nous a permis de découvrir un nouvel univers musical 

    David Bowie

     

    What In The World

     

    Album Low (1977) 

     

    Automne 77 : je bascule dans la New Wave grâce à mon frère et à un caméléon glam-rock orangé…

     

    Comment 2 minutes et 23 secondes peuvent changer votre vie… 

     

    C’est ce qui m’est arrivé un soir d’automne 1977, dans la bonne ville de Nevers, paisible bourgade de près de 50000 âmes (sans doute moins à l’époque), sise à plus de 200 kilomètres au sud de Paris. Nevers, c’est l’idée qu’on se fait du bord de Loire : quelque chose de tranquille et d’intemporel, à la fois paisible et provincial, la tête bien sur les épaules et les yeux à peine dans les étoiles. Raisonnable. 

     

    J’y passe alors une enfance paisible du haut de mes dix ans. L’école se déroule bien, ma famille est unie et j’ai un grand frère (4 ans plus âgé) qui me fait découvrir par petites doses des musiques qui jusqu’alors me sont assez étrangères.

     

     

    Tout cela forcément m’intrigue, moi qui suis alors habitué à Abba, un peu les Beatles, un peu Noam (bientôt Goldorak en 1978 !), un peu Chantal Goya (et oui), un peu Henri Salvador (« Petit lapin, ne va pas à Paris… »), et beaucoup d’écoutes assez doucereuses et disons le bien : sans risque, total secure. 

     

    Un soir d’automne donc, mon frère Eric revient des Puces. Les Puces, c’est l’événement automnal à Nevers. Des dizaines et dizaines de particuliers y exposent leurs rebus, colifichets et débarras, dans des amoncellements qui parfois confèrent à l’expédition héroïque. Mon frère est passé aux Puces, à la recherche de quelques vinyles, avec sur lui son argent de poche. La somme n’est pas faramineuse. Mais comme les rondelles sont alors en vente pour un prix… raisonnable, il y a de quoi piocher quelques curiosités. 

     

    C’est donc ce soir-là qu’Eric me ramène ce disque étrange, orange, avec sur sa pochette un monsieur très pâle vu de profil. L’album s’appelle Low. Ça veut dire « bas ». Profil bas ? Et l’homme qui chante est un certain David Bowie. Je ne le connais pas. Mon frère m’assure que c’est quelqu’un de connu. Il a eu ce vinyl pour un prix dérisoire car il présente un défaut de fabrication assez original, que je n’ai jamais vu ultérieurement sur un tel support : la vignette sur le Verso du disque a été mal collée, complètement décalée par rapport au trou central, et recouvre pratiquement la moitié des titres de cette face… Mon frère n’en est pas désolé pour autant. Il s’écoutera à l’occasion cette face B après la face A. Même s’il faudra sacrément ruser avec la tête de lecture de la platine ! 

     

    Vous vous souvenez sans doute de Low. Une face A ramassée en sept titres courts et pop. Une face B beaucoup plus ample et contemplative avec quatre titres plus longs dont le fameux Warszawa, qui paraît-il inspira le nom de la toute première formation pré-Joy Division.

     

    Joy Division ? Le post-punk ? la New Wave ?

     

    Précisément, on y est. En plein dedans.

     

    Je n’avais pas encore fréquenté le génie de David Bowie, mais je reçus là, en pleine poire, un ersatz de ce talent. Le génie d’un caméléon qui, venant du glam-rock et de la soul, décidait de bifurquer au mitan des années 70 vers ce qu’on allait appeler la « nouvelle vague ». La New Wave. En précurseur. Comme d’habitude chez lui. Même s’il avait dans les oreilles les expériences sonores de Kraftwerk ou Neu !, des exégètes du rock allemand intello. 

     

    J’écoutais donc forcément la face A. Celle écoutable. Celle des sept titres rapides. 

    Choc. 

     

    Jamais je n’avais entendu un son aussi… bizarre. Des instruments qui s’entrechoquent, des bip-bips (Brian Eno), une batterie qui semble testostéronée (Dennis Davis !!), des guitaristes pris de convulsion (Carlos Alomar et Ricky Gardiner)… et un génie à la production (Tony Visconti, longtemps oublié derrière Brian Eno).

     

    Et ce What in the World. Le troisième titre. 

     

    Par quoi ai-je été impressionné ? Je pense d’abord par ces voix. Car elles sont deux. Bowie semble totalement détaché, crooner. Un crooner new wave, électronique, complètement planant sur ce thème génial aux paroles totalement absconses (« Tu es une petite fille aux yeux gris/ Ne t’inquiètes pas/Dis-moi quelque chose/Et attends/Avant que la foule ne pleure »). Et Iggy Pop (un autre inconnu) semble lui aussi à la fois dans cet album Low et au Carnegie Hall en train de choruser tranquille comme un chanteur flegmatique (et on découvrira plus tard qu’il a vraiment l’âme d’un crooner !).

     

    Et puis cette musique. Nerveuse, à fleur de peau, tendue, comme destituée de toute inutilité, de toute fioriture. De toute technicité. Comme un cri primal. 

     

    En 1977, alors que le prog rock semblait triomphal, je découvrais la « musique sur les os », qui ne s’embarrasse de rien. Le punk avait alors juste survolé Nevers. On n’en parlait pas, sauf en rigolant quand il s’agissait de se moquer de deux ou trois iroquois qui traînaient du côté de la gare routière. La new wave n’était pas encore installée non plus. On allait l’évoquer en écoutant la radio des émissions de Paris (bientôt Feedback et Lenoir). En guettant la presse (Best et Rock & Folk). 

     

    Et ce What in the World m’a fait d’un seul coup prendre conscience que la musique pouvait être folle, un vrai rollercoaster émotionnel qui ne se chargeait pas d’empiler refrains, couplets et ponts.

     

     

    La partie de guitare est à elle seule intéressante, jouant sur nos nerfs. Totalement dissonante en intro, elle se calme au bout de 23 secondes, laissant place à une partie de chanson qui pourrait facilement s’immiscer dans le Real Book, en vrai standard. Bowie assure. Puis le petit jeu dissonant/strident réapparaît à la première minute, avant de re-disparaître. Batman-Bowie contre Joker-Alomar. 

     

    2mn23 de pure adrénaline que j’allais écouter maintenant sans cesse, encore et encore, comme un mantra, comme pour me convaincre que les portes d’une nouvelle musique s’ouvraient à moi. Combien de fois me le suis-je infligé ? Des dizaines et des dizaines de fois. Et aujourd’hui encore, je pourrais me le repasser d’autres dizaines. Comme une partie de mon ADN que mon corps ne pourrait évacuer. La combinaison de la batterie sèche, de la guitare à la fois ondoyante et acérée, de la basse sinueuse, des chœurs extatiques, de ces bips de Pacman est unique. Une décharge. Un coup de foudre. 

     

    On appelait cela de l’« art rock » en 1977. Manière de gentiment dire qu’on n’y comprenait rien. On allait ainsi qualifier les vocalises de Kate Bush, l’année suivante. Comme une jeune sorcière qui ne fait pas comme les autres. Comme quoi il faut toujours se méfier de ceux qui n’aiment pas les routes au bord du gouffre et qui préfèrent cheminer au milieu des autoroutes huit-voies… 

     

    Ce génie de Bowie avait été visionnaire. Avec sa trilogie Low, Heroes et Lodger, il savait qu’il redessinait une partie du territoire du rock, avec l’assentiment de jeunes post-punks avides de renverser les vieilles icônes de stades. 

     

    Vous pouvez deviner que bientôt d’autres groupes et artistes allaient apparaître à l’encan dans mes oreilles, sur cette période charnière de 77-79 qui nous fit découvrir The Police, Patti Smith, Joe Jackson, Blondie, Talking Heads, Elvis Costello et tant d'autres… 

     

    D’autres titres de Low sont des nectars que j’engloutissais aussi avec envi : Speed of Life, Breaking Glass et ce thème ingénieux dont le titre évoquerait presque une nouvelle de J.G. Ballard : Always Crashing in the Same Car. 

     

    Mais What in the World fut bien la clé qui m’ouvrit à ces univers sonores « new wave ». Et c’est vrai que la New Wave et le post-punk allaient façonner toutes mes écoutes musicales des années 78-85. Je m’embarquai alors dans un voyage au long cours, qui n’allait s’achever qu’au mitan des années 80. J’allais alors découvrir d’autres musiques, d’autres émotions, d’autres découvertes, d’autres plaisirs : musiques du Monde, jazz, classique, etc, etc… 

     

    What in the World est un titre qui appartient à mon panthéon personnel. Merci David ! Merci Eric !

     

    Et merci à toi Hervé! Enchaînons avec le choix d'Audrey...

      

     

    Sur l'album " Blue lines "

    Avant Massive Attack, j’avais clairement du snobisme pour tout ce qui était dansant. Bien sûr, ce n’est pas cette facette qui m’a attirée, mais plutôt ces nappes de violon crépusculaire qui faisaient planer au-dessus de la musique un voile de mélancolie. D’un seul, coup, il y avait comme un drame dans ce morceau, comme si pour la chanteuse, il s’agissait de vie ou de mort. Pourtant, c’était un morceau sur lequel on pouvait vraiment danser.

    Donc Massive Attack avait soudain écroulé le Mur qui me séparait d’un véritable continent, celui du hip-hop, de l’électro et même de la techno. Quelques années plus tard, Portishead pouvait enfoncer le clou, j’allais découvrir dans la foulée les grands groupes de l’époque de l’electro, Letfield, Underworld, qui prouvaient que de tels groupes pouvaient bâtir des albums qui tenaient la route, contrairement à un préjugé que j’avais et qui considérais qu’il s’agissait plutôt d’artistes à « single » ou maxi… Une musique soudain devenue plus excitante que beaucoup de ce qui se faisait à guitares à l’époque. Et d’ailleurs, beaucoup de ces musiciens avaient connu le punk dans leur jeunesse (et même John Lydon viendra pousser la chansonnette avec certains).

    Bref, pour moi, il y a eu clairement un avant et après Massive Attack, que je considère pour ma part comme étant le plus grand des annés 90.

     Merci Audrey 

    That's all folks!

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  • Commentaires

    1
    Arewenotmen?
    Mercredi 6 Mars 2019 à 09:34

    J'aurais pu écrire la même chose que toi Hervé (en moins bien peut-être)... album décisif s'il en est..

    2
    eric
    Mercredi 6 Mars 2019 à 09:58

    Bowie, mon martien préféré. Sacré voyage dans le temps. Merci Hervé.

    3
    Keith_Michards
    Mercredi 6 Mars 2019 à 11:13

    Il fallait bien que Bowie apparaisse un jour ou l'autre dans ce jeu. Merci Hervé pour cette piqûre de rappel essentielle. J'avais rencontré le Thin White Duke quelques années auparavant avec Aladin Sane et le furieux Jean Genie.
     

    "Attaque Massive " : voilà un groupe que je ne connais quasiment pas, mais chaque fois que je l'ai écouté, j'ai plutôt apprécié. Il va falloir que je m'y mette sérieusement ! Donc merci aussi Audrey et bonne continuation à tutti et a quanti ! Et oui, en plus je suis polyglotte !!!!! glasses

    4
    Mercredi 6 Mars 2019 à 12:59
    Le dernier genre musical d'importance que le trip hop pour moi symbolise par Massive Attack...
    Belle évocation de l'époque de "Low ", je doute que j'aurais pu apprécier Bowie à 1ans !
    5
    Mercredi 6 Mars 2019 à 14:58

    Personnellement, "Low" pas de problème, c'est un bon choix.

    "Maive Attack", découverte tardive se découvre à chaque écoute un peu plus...bon choix aussi!

    6
    Hervé Guilleminot
    Mercredi 6 Mars 2019 à 19:49

    Merci Audrey, rappel salutaire pour Unfinished Sympathy !

    Clip très original et ces montées de violons !

    Je me suis toujours posé la question d'ailleurs de savoir si une vraie section de cordes avait été utilisée ou s'il s'agissait de samples... Le trio est tellement bidouilleur...

    De tout le navire "trip hop", c'est en effet Massive Attack qui est resté largement un capitaine incontesté... Ils ont mené le cap !

    7
    Mercredi 6 Mars 2019 à 22:49

    Hervé: belle histoire, ah, l'époque où l'on fouillait les bacs des bouquinistes débordant de vinyles à bas prix, mais où notre faible pouvoir d'achat nous obligeait à une rude sélection! me suis payé pas mal de Bowie quand même...

    Audrey: ah oui, le déclic trip hop, bien vu ! pour moi ce fut avec des titres un peu plus abordables, "Teardrop" de Massive Attack et "Again" de Archive...

     

    8
    Mercredi 6 Mars 2019 à 23:16
    Francky01

    Hervé : Magnifique texte très sensible, entre érudition, analyse et souvenirs...écriture façon "gonzo", à la Lester Bangs que je vénère (ah "Psychotic Reactions..." quel chef d’œuvre !!). Rock&Folk, Best...la vie dans une petite ville de province (moi c'était carrément un petit bled de campagne), les puces à la recherche de disques différents et pas chères, les vinyles (moi surtout les K7) achetés avec le peu d'argent de poche en sa possession..."Low" est clairement un des meilleurs disques d'une décennie qui n'en manque pourtant pas. "Low" / "Heroes" ou Bowie-Iggy-Eno embarqué à bord d'un même bateau (ivre).

    Audrey : Massive Attacks, que de souvenirs, ceux de ma période "jeune" donc vécu cette fois en direct live (par rapport à "Low"). De plus, vers 1993/94 - jusqu'à 2003/2004, j'ai vécu à fond les rave-party/Free-party. Connu les prémisses, l'explosion et l'évolution Drum'n'Bass...jusqu'à tout arrêter, il le fallait bien (santé, vie conjugale...). Massive Attacks, tout comme Portishead et pas mal de production des labels Mo'Wax, Ninja Tune, Wall Of Sound...le Trip Hop en général était la musiques cool d'après-midi d'after, compagne idéale pour redescentes de soirées extasiées lors de week end endiablées. Dans les 90's, le Trip Hop a complétement conquis la planète Indie, Les Inrocks et Magic ne jurant que par ce mouvement. Pour preuve, les classements "meilleurs disques 90's" de ces magasines, ces groupes  trustent les plus hautes marches.  

    9
    elnorton
    Jeudi 7 Mars 2019 à 08:01

    Deux artistes qui me tiennent à coeur. Bowie, je l'ai découvert tardivement. C'est vraiment avec Blackstar (adoré et chroniqué avant sa sortie, et donc avant la mort de l'artiste) que j'ai découvert son univers... sa mort quelques jours plus tard m'a donc affectée de manière douloureuse. Comme si après une rencontre géniale, la personne décédait quelques jours après. On ne se sent pas légitime pour aller aux funérailles, mais on a envie de lui rendre hommage et on repense souvent à lui...

    Pour Massive Attack, je ne sais plus si c'est par leur biais ou celui de Portishead que j'ai découvert le trip-hop, mais j'ai eu une ENORME période trip-hop à la sortie de l'adolescence, les premières années fac, tout ça. Et d'ailleurs, c'est sans doute l'un des courants que je vénère encore le plus aujourd'hui. Je ne jette tout simplement rien dans la discographie de ces deux groupes qui sont quand même des pièges en puissance pour les adolescents avides d'émancipation et de mélancolie à la fois...

    10
    Jeudi 7 Mars 2019 à 08:25

    Bon, comme toujours vous avez tapé fort... et ces entrées sont évidemment relatives à vos articles. Intéressant donc de savoir quel déclic.
    Bowie, j'aurais pu mettre celui ci, car effectivement c'est par lui que j'ai mordu définitivement à Eno et cette trilogie est chez moi obsessionnelle - comment ont-ils pu réaliser des trucs pareils ?
    Cette période m'a beaucoup questionné même si instrumentalement je n'étais pas prêt à l’emmagasiner, c'est bien plus tard que j'ai su comment faire avec tout en restant un inconditionnel de ce Low (et de la suite)...
    Massive Attack, Audrey tu ne seras pas surprise de savoir que c'est par leur sample du Stratus de Billy Cobham que je suis entré dans ce groupe pour ensuite passer des heures à  bidouiller en home studio la magie du sampling.
    Dans les années de début de carrière de Peter Gabriel, il disait que bientôt on pourrait découper avec un ordinateur la musique qu'on aime pour créer sa propre musique et recréer à partir de l'existant. Ça paraissait lunaire... et en lisant ça plein de questions existentielles sur mon avenir de musicien m'étaient apparues...
    Une réponse fut ici... pas si tard que cela.

    supers articles.
    THX

    11
    Jeudi 7 Mars 2019 à 09:51

    @Hervé J'imagien sans difficulté ton choc, "nous" qui connaissions notre Bowie sur le bout des doigts et qui sentions un trucs se passer avec "Station to Station" n'étions tout de meêm pas préparé à cet album, imagine, un P Glass qui en dira du bien, David Bowie a un instinct musical impressionnant qu'il dira

    @Audrey Pareil en moins fort, comme quoi quand je "vous" visite vous avez souvent choisi des oeuvres charnières quand l'histoire perso rejoint l'universel (bon c'est un peu pompeux) Contrairement à toi qui je comprends vis ça dans le temps qui s'écoule, moi je me rattrape tant bien que mal Mais c'est donc avec Portishead que je découvre un genre qui va me happer, ça ma réconcilié avec le fait qu'il y a encore des genres qui peuvent me surprendre

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