• Le coin des invités # 3 : The Church - Seance (1983) par Audrey

    Voilà un album que j’ai longtemps snobé pour de mauvaises raisons. J’avais trouvé le vinyl dans les années 90 à 10 francs (soit 1,50€ ! ! !). En soi, pas une grosse prise de risque. Je l’avais pris parce que la musique des Church a toujours eu sur moi un certains charme doux et vénéneux, mais sans jamais parvenir à me combler pleinement. Et à l’époque, je n’avais toujours pas retrouvé une chanson que je trouvais très originale mais dont j’ignorais le nom et qui figurerait sur une de mes cassettes. Donc 10 francs, pour trouver cette fameuses chanson (et peut-être avaient-ils écrit tout un album ainsi ?), je pris le pari. Et puis il y avait cette pochette un peu gothique qui ne collait pas tout à fait à l’image que j’avais d’eux, peut-être qu’il réserverait une surprise.

     

    Première déception, il n’y avait pas ladite chanson (depuis j’ai appris qu’elle s’appelle Constant In Opal). Seconde déception, le son, trop daté 80’s : batterie avec sonorité électronique, trop de nappes de clavier atmosphérique par ci ou de synthé à un doigt par là, guitares claires et sous-mixées… Un florilège des effets de l’époque, mais sans l’éclat de ses meilleures productions (mais sans ses défauts non plus). Enfin, Steve Kilbey n’avait pas encore trouvé la plénitude da voix grave, dans son registre mi-chanté, mi-parlé qui allait faire des merveilles dans les albums à venir. Bref, quelque chose qui, à l’époque, m’était paru un peu terne. Une écoute rapide me montrait un album sans réelle surprise, donc ni bonne ni mauvaise. J’avais même l’impression de connaître les chansons avant même de les avoir écoutées, tellement elles me parurent évidentes, ce qui peut être en soi aussi un signe de qualité. Sauf qu’au milieu de Massive Attack et de Nirvana et des merveilles des 60’s que je découvrais alors, je n’avais pas envie de perdre mon temps avec ce disque. J’avais juste mis quelques chansons sur des bouts de cassettes, histoire de les terminer. 

    Quelques 15 ans plus tard j’ai réécouté ce disque en voulant approfondir la discographie des Church. D’abord, les quelques chansons que j’avais mises sur mes cassettes avaient pris une incroyable patine et s’avéraient excellentes. Et là je tombe sous le charme de ce son. Certes, il y avait certainement de la nostalgie (cette période de 83-85 constitue pour moi l’âge d’or de ma relation avec la musique, je découvrais en quelque sorte le monde à travers elle), mais au delà de ça, je fus surpris de découvrir à quel point il s’agissait d’un album à guitares. Même si la production manquait de tranchant, elles étaient magnifiques, inventives. Et la quasi totalité des chansons diffusaient un charme de plus en plus puissant, révélaient peu à peu ses surprises et secrets au fil des écoutes. Et les claviers sont au contraire utilisés avec parcimonie et inventivité. Derrière l’apparente facilité et le registre flirtant avec une douce monotonie, il y avait des structures sophistiquées, des mélodies puissantes avec une palette de climats très variés mais dans un registre toujours pop. 

     

     

    L’album débute avec un morceau court, Fly,  petite merveille de concision, à la fois rêveur et enchanté, mélodie lumineuse qui ressemble à une délicieuse introduction au morceau suivant, One Day, qui lui est enchaîné et qui fait vraiment décoller l’album avec son rythme entraînant, ses guitares qui s’entrelacent et font avancer le morceau avec une énergie euphorisante. 

    Vient ensuite Electric. Le morceau, assez lent et long de 6mn, commence par un solo de guitare lent et étiré. Puis commence son premier couplet à l’instrumentation très dépouillée, uniquement tournée sur la batterie et la basse avec un sous-point de guitare sèche. La mélodie est portée toute entière par la voix de Kilbey, encore un peu dans son registre forcé d’un demi-ton trop clair, puis vient le pont-refrain à l’architecture complexe puisque durant aussi longtemps que le couplet. Cette structure se reproduira une seconde fois, avec un couplet soutenu par quelques notes de piano. Pourtant, les guitares électriques sont là, pour donner leur tension quand le morceau est sur le point de s’avachir. 

    Le morceau suivant est une pure merveille et marque l’épanouissement de ce qui fera la marque de fabrique du groupe. Dans un registre doux-amer où il excellera, It’s no reason avance doucement sur quelques notes graves et répétitives d’orgue synthétique et débouche en douceur sur un refrain nostalgique où la voix de Kilbey fait merveille et trouve quasiment le ton qu’il exploitera par la suite. A noter que les Church donneront une autre version tout aussi réussi dans l’un de leurs deux albums acoustiques de la fin des années 2000, où ils revisitent leur répertoire très librement. 

    Travel by thoughts clôt cette magnifique face A sur une note beaucoup plus expérimentale. L’ambiance très droguée, très sombre, rappelle plus les ambiances du Pornography de Cure que les ambiances pastorales et chaleureuses des précédents morceaux. Le groupe n’hésitera jamais à prendre des risques en explorant des styles et des registres assez éloignés de ses aspirations, ce qui montre à quel point ce groupe a toujours été curieux (contrairement aux reproches qu’on lui fait de ne pas être assez aventureux). L’exercice, bien que faisant tache dans l’ensemble et qui n’aura jamais de suite, n’est pas mauvais mais ne s’intègre pas du tout à l’ensemble. 

    Disappear s’apparente aujourd’hui comme du pur Church, avec sa guitare acoustique, son rythme de ballade nonchalante, qu’une guitare électrique perturbe avec retenu, et son délicieux crescendo où toute l’instrumentation se densifie et dynamise la structure de départ qui pourtant ne semble pas changer. On notera également que Kilbey chante ici dans un registre plus grave. Les parties de guitares électriques sont magnifiques, avec des solos sans esbroufes et pourtant profondément musical. 

    Electric Lash surprend par l’utilisation très mise en avant d’une sonorité de batterie électronique, qui vise à illustrer ce qu’on suppose être des coups de fouet électriques. L’effet fait aujourd’hui très daté, mais l’utilisation est tellement ancrée dans la structure même du morceau qu’on l’oublie assez vite, pour ne se focaliser que sur une autre mélodie entraînante, dont la version acoustique que délivrera le groupe plus de 20 ans plus tard prouvera la force intemporelle du morceau. Une pop-song servit sur un plateau d’argent que peu écouteront, avec un final d’entrelacs de guitares de toute beauté. Et c’est là où le groupe fait la différence avec la concurrence de l’époque, là où la plupart se serait contenté d’une structure couplet/refrain des plus sympathiques, il drape la chanson de partie instrumentale qui éclate littéralement son format pour offrir suffisamment de matière à des écoutes répétées. 

     

    Now I wonder est un long morceau, une sorte de cousin germain des Cure de 17 seconds, avec son instrumentation minimaliste qui joue sur la monotonie mais qui s’étire à la manière de Faith, parfumé de note d’harmonica en plus. Un registre qu’affectionnera tout particulièrement Kilbey sur son premier album solo et très sous-estimé, Unearthed. Morceau parfaitement maîtrisé à l’écriture élégante, à mille lieux de la new wave et de l’électro-pop discoïsante qui s’imposera à cette époque. 

    Dropping Matter montre le groupe sous un jour plus rock, plus tendu, parfois dissonant. On pense aux Undertones mais surtout à ce que feront leurs membres sous le nom de That Petrol Emotion, qui utilisera régulièrement ce type de chœur. Devant la réussite du morceau, on pourra regretter que le groupe n’ait pas exploité plus souvent cette veine nerveuse. 

    It Doesn’t Change est une plage atmosphérique, où le groupe se joue des forces dynamiques pour créer une matière immobile qui pourrait chuter à tout moment sans le savoir faire et l’inventivité des musiciens. 

     

    Seance est donc l’un des albums les plus inspirés du groupe et qui y signent quelques-uns de ses petits et grands classiques. Derrière une production un peu terne et très datée année 80 se cache un véritable trésor, avec de multiples surprises et une richesse musicale qu’il serait urgent de redécouvrir. Et ce n’est pourtant pas une grande fan du disque à l’époque qui vous le dit. Donc, ne vous y trompez pas, s’il ne s’agit peut-être que d’une église, elle dissimule pour autant des beautés dignes d’une cathédrale. 

    Audrey

     

    Les titres:

    Fly 2:12

    One Day 4:36

    Electric 6:03

    It's No Reason 5:54

    Travel By Thought 4:35

    Disappear? 5:46

    Electric Lash 4:25

    Now I Wonder Why 5:40

    Dropping Names 2:57

    10 It Doesn't Change 5:52

    Pour l'écouter, ce n'est pas loin....la dernière?

    That's all folks!

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 7 Mai 2017 à 08:50

    Je cherche toujours le contributeur de la semaine prochaine. Ce serait dommage de laisser cette case vide non?

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    2
    Audrey
    Dimanche 7 Mai 2017 à 18:49

    Tu connaissais le disque?

      • Lundi 8 Mai 2017 à 07:59

        Non, je ne connaissais pas ce disque et le groupe seulement de nom. Tes commentaires m'ont donné envie de l'écouter, chose que je n'ai pas encore trouvé le temps de faire malgré les ponts etc....

    3
    laoap
    Dimanche 7 Mai 2017 à 20:42

    une éternité que je ne m'étais pas replongé dans cet album....et soudain une évidence en réécoutant "it's no reason" :  je comprends maintenant pourquoi j'ai toute de suite accroché sur The National.

    4
    Jean-Paul
    Dimanche 7 Mai 2017 à 23:22

    Superbe texte Audrey... Comme toujours.

    J'ai ressorti le vinyl. Il n'avait pas pris la poussière.

    Ce fut un beau dimanche.

      • Lundi 8 Mai 2017 à 11:06

        Bonjour Jean-Paul! Un article à proposer pour ton arrivée sur le blog?

    5
    Audrey
    Dimanche 7 Mai 2017 à 23:39

    Au fait, fracas, il n'est pas de 1988 mais de 1983 sarcastic

      • Lundi 8 Mai 2017 à 07:57

        J'ai corrigé l'erreur.

    6
    Audrey
    Lundi 8 Mai 2017 à 09:38

    Tu connais sans doute Under the Milky way? C'est leur hit (qui cache un peu le reste de l'iceberg). Par contre, si tu ne vois pas quelle chanson dont il s'agit, alors jette-toi dessus. C'est un véritable moment de grâce.

      • Lundi 8 Mai 2017 à 11:08

        Possible que je l'aie entendue mais j'étais accaparé à l'époque par des titres plus "durs". Jolie chanson en effet.

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