• Jeu de la Dizaine des Blogueurs : Thème 5 : La chanson qui met des frissons dans le dos par Audrey et Hervé

    C'est Audrey qui s'y colle pour ce nouveau thème....

    Album de Kate Bush - Sensual world (1989)

    This woman's work

    Je ne sais pas si les hommes peuvent frissonner comme nous. Mon mari, s’il frissonne, ça doit se passer dans un coin du cerveau, mais rien à voir avec moi. Moi, ça se passe sur la peau, dans le dos, dans la tête, dans toute ma chair. Et avec cette chanson, je me sens fière d’être femme. J’ai l’impression d’être comprise, de ne pas être seule. ET tant pis si y a des grincheux qui trouveront ça trop 80’s… J’aime sa voix, parce qu’elle ose chanter comme une petite fille et en même temps les sentiments qu’elle fait passer sont clairement ceux d’une vraie femme. Les mecs peuvent essayer de bâtir des chansons qui font des Toboggans, ils peuvent pas lutter, cette chanson monte trop haut pour eux dans tous les sens du terme. Et toc !

    Et si ça ne vous suffit pas, vous pouvez enchainer avec The Dream of ship le cette grande dame.

     

    Merci Audrey!

     

    Au tour d'Hervé maintenant...avec un album de New Order que j'aime beaucoup...

     

     

    New Order - Power, corruption and lies (1983)

    Chanson: Leave me alone

    Peut-on chanter et danser la dépression ? Les carrières de Joy Division (chanteur dépressif/suicidé : Ian Curtis) puis New Order (chanteur ombrageux : Bernard Sumner) ont toujours fait penser que rythmique dance (même martiale comme chez Joy Division) et paroles sombres pouvaient cohabiter. Le seul (et énorme) titre dance de New Order ne s'appelle-t-il pas Blue Monday ? Ce "lundi morose" (paraît-il le deuxième ou troisième lundi de janvier) qui correspondrait au pic de dépression et de mélancolie de l'année.

     

    Blue Monday est tiré de l'album Power, Corruption and Lies (ce titre ! Mieux qu'un tract politique !), qui baigne aussi dans cette affliction et ce spleen dont Sumner s'est fait le chantre, imprimant paroles désabusées et expression presque monocorde.

    Cet album se conclut par une chanson ayant aussi une forte portée mélancolique. Une chanson par laquelle j'ai découvert New Order, un groupe qui m'a accompagné tout au long de ma vie, jusqu'à aujourd'hui.

    Leave Me Alone recèle son lot de paroles tristement contemplatives, comme empêtrées dans une inaction coupable (“On a thousand islands in the sea/I see a thousand people just like me/A hundred unions in the snow/I watch them walking, falling in a row”). La chanson conclut l'album. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un tube, d'une chanson mise en avant. Mais cette conclusion est un déchirement qui hante encore longtemps l'auditeur après l'arrêt du disque.

    Un spleen dont le chant atone de Sumner imprime les tons définitifs : noir cafardeux et blanc étouffant.

    Et pourtant la pochette de Power Corruption and Lies représente un tableau coloré de Fantin-Latour, des roses, mais avec des couleurs passées qui évoquent les scènes d'intérieur habituellement peintes par le Français : dans une gamme quasi monochrome de gris et de brun. Bref un écrin idéal à la musique de New Order.

    Ce titre est captivant et fascinant comme tous les titres de New Order qui mettent en avant les qualités intrinsèques du groupe : une section rythmique ultra-présente (batterie de Stephen Morris quasi métronomique, dans un style propre fascinant à voir en concert, ligne de basse claire et émouvante de Peter Hook), le chant de Sumner et ses parties de guitares, assez bien maîtrisées ici. Les claviers de Gilian Gilbert sont absents, mais en creux, ils pourraient accompagner la douce mélancolie des guitares apaisées de Sumner.

    Les tubes mélancoliques de New Order sont légions : Bizarre Love Triangle, Regret, Your Silent Face, This Time of Night, Paradise, Love Vigilantes, Dream Attack, etc.

    Mais Leave Me Alone, "Laissez-moi seul" est différent. A part. Il augure de la séparation enfin définitive de New Order avec son modèle ancien, Joy Division. Le premier album de New Order, Movement, était encore empreint de la personnalité, de l'idéologie presque, de Joy Division. Power, Corruption and Lies s'en détache, avec un son qui va bientôt prendre ses aises et ses libertés (il faut écouter Confusion ou Temptation pour s'en convaincre).

    Sumner le cadet se sépare de Curtis l'aîné, et peut préparer New Order à une carrière, certes en clair-obscur, mais de plus en plus tournée vers la dance et les couleurs. Avec pour acmé les teintes violacées de la pochette de Technique (1988), l'un des albums-phare de l'acid-house anglaise puis "l'adult dance" de Republic en 1993, deux albums que détesteront certainement les fans les plus hardcore de Joy Division...

    Leave Me Alone est bien une plainte, un cri. Et c'est en cela qu'il est émouvant, qu'il reste lové en vous pour toujours. Car vous sentez ici toute l'ambivalence de la nature humaine, sa souffrance dans l'espoir, sa honte de jouir, son hébétude à dresser des projets.  Son incapacité chronique à être simplement heureux de son existence. Sage et équilibré.

    Je découvre alors peu à peu les paroles de Sumner, et je suis fasciné par la nature extrêmement banale de ses paroles qui arrivent toujours à émouvoir par cette description clinique du quotidien le plus plat, pour en tirer un portrait en coupe d'un individu, d'un couple, d'une famille, d'une génération. Prenez Regret et son “I would like a place I can call my own/Have a conversation on the telephone/Wake up everyday, that would be a start/I would not complain 'bout my wounded heart", la torch song qui prend les atours d'une ballade pop.

    En superposant quotidienneté et émotion, Sumner touche et fait vibrer notre sensibilité.

    Love Vigilantes aussi, derrière un visage redneck, décrit le drame de la séparation familiale en temps de guerre : "I want to see my family/My wife and child waiting for me/I've got to go home/I've been so alone, you see".

    J'ai découvert en même temps New Order et les livres de Bret Easton Ellis. Fascinante mise en abîme qui révèle la superficialité de l'existence quand elle s'attache à la forme plus qu'au fond. Comme chez Ellis, l'émotion est à fleur de peau, palpable et compulsive, désordonnée et éruptive.

    Leave Me Alone est donc l'un des premiers titres de cette série de chansons de New Order que je me passerai souvent au casque.

    En ayant le sentiment fort d'écouter l'un des groupes pop les plus essentiels de la fin du XXème siècle.

    Merci Hervé!

    That's all folks!

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    1
    Arewenotmen?
    Vendredi 8 Mars 2019 à 07:03
    Moi aussi, Audrey, certaines chansons de Kate Bush (et d'autres) me donnent des frissons..
    2
    dom
    Vendredi 8 Mars 2019 à 09:31

    Pour info, BLue monday n'est pas sur Power, corruption and lies. Il n'est sorti à l'époque qu'en maxi 45 t.

     

      • Hervé Guilleminot
        Dimanche 10 Mars 2019 à 00:08

        Correct Dom ! En effet c'est vrai, mais disons que par commodité je me suis référé à la réédition de Power en 2008 par Rhino, qui réintroduisait les faces B et donc Blue Monday. 

    3
    Arewenotmen?
    Vendredi 8 Mars 2019 à 09:33
    Si j'aurais participé, j'aurais pu parler de "Win" de David Bowie, extrait de "Young Americans", que je réécoute en boucle actuellement...
    4
    Vendredi 8 Mars 2019 à 11:42

    Tout à fait d'accord avec Hervé, beaucoup de titres de New Order peuvent me filer des frissons, "Regret" entre autres...;)

    Ma préférée de Kate Bush est "Running up that hill" et me donne des frissons à chaque fois... il y a sa voix mais aussi sa musicalité...un beau choix également...

    5
    Audrey
    Vendredi 8 Mars 2019 à 11:56

     

    Leave me alone fait totalement écho pour moi à la fameuse face A de Brotherhood que j’avais choisie pour la chanson de mes 15 ans. Comme j’ai découvert la discographie du groupe dans le désordre sans trop savoir combien de vrais albums il avait faits, compte tenu du nombre de pochettes mystérieuses du groupe (qui comprenait les plein de maxi), j’avais imaginé à son écoute que le groupe avait déjà réalisé des albums avec ce son de guitares. Et pour tout dire, quand j’ai appris qu’ils s’étaient appelés Joy Division, j’avais même imaginé que tel avait été le son de son précédent groupe.

    Ce titre dépasse pour moi le stade de l’habituelle mélancolie du groupe. Je trouve qu’il est même ouvertement triste et que c’est sans doute le seul à l’être aussi explicitement dans leur œuvre. C’est un peu comme si le groupe (et Barney plus particulièrement) baissait la garde et, à travers les accords mineurs de sa guitare et la tonalité du chant, renforçait la dimension impudique de sa confession.

    Concernant son jeu de guitare, c’est vrai qu’il ne sonne pas toujours parfaitement juste. Pour autant, je considère qu’il est l’un des guitaristes les plus créatifs du rock, et que ce soit au sein de JD que de NO. Quand on écoute JD, je suis toujours surprise de me dire qu’il n’y avait qu’une seule guitare. C’est grâce à sa créativité qu’il nous donne l’impression qu’il en existe plusieurs (même si la basse de Peter Hook contribue à cette illusion).

    Accessoirement, New Order aura été également l’un des groupes qui aura porté le plus loin l’idéal punk en terme de philosophie et d’intégrité. Au-delà du boucan de cette musique (qui est certainement ce qui est le plus superficiel), il aura su rester fidèle à son attitude et son idéal. Ceux qui auront considéré son orientation dancefloor comme une trahison sont ridicules quand on sait le nombre d’authentiques punks qu’on retrouvera dans la mouvance techno des 80’s et 90’s. Le punk n’avait pas de frontière dès le départ quand on sait l’influence du dub, du reggae voire du disco sur les groupes. Je dirais même que la scène techno/elecro aura sans doute été plus punk dans l’esprit musical que les groupes de guitares de l’époque, qui, au final, auront à leur tour iconisé et sclérosé l’héritage jusqu’à la caricature.

    Je recommande d’ailleurs les deux livres de Peter Hook sur ces deux groupes, d’autant qu’ils ne sont pas dénués d’humour et d’autodérision.

    PS à Fracas: le texte de Hervé a été copier en double

     

     

      • Hervé Guilleminot
        Dimanche 10 Mars 2019 à 00:11

        Très bonnes remarques Audrey, je plussoie. Je mets uniquement un bémol à Barney sur ses prestations live, car en live, New Order n'est pas toujours excellent, loin s'en faut (à part la section rythmique souvent irréprochable). 

    6
    Keith_Michards
    Vendredi 8 Mars 2019 à 12:08

    Rassure-toi Audrey, il y a de par le monde un tas de mecs qui craquent en écoutant Kate Bush (et d'autres). Il n'y a que les bourrins dont le cerveau a été vampirisé par des doctrines abjectes qui peuvent rester indifférents à tant de grâce.

    Chouette chanson de New Order, mais qui me procure moins d'émotions.

    Merci à tous les deux

    7
    eric
    Vendredi 8 Mars 2019 à 12:53

    Fracas, je te le demande solennellement, en cette journée de la Femme, fais un geste, un vrai. Pas seulement un bouquet de fleurs acheté dans une surface commerçante. Un vrai geste en direction des femmes. Une rubrique esssentiellement féminine où ces dames posteraient au grè de leurs humeurs, et de leurs envies, leurs choix musicaux. Messieurs, pas de blague. Interdit d'intervenir sous pseudo. OK Dado?

    Fracas, nous savons tous, et toutes que tu as le sens du partage.

     Merci Audrey, pour cette chanson émouvante et le billet qui l'accompagne. Pour les frissons, je vais rechercher cette petite fée qui courait dans les bois de mon adolescence. Sa voix résonne encore à mes oreilles.

      • Vendredi 8 Mars 2019 à 17:24

        Eric, je réfléchis à ta proposition. Effectivement, cela pourrait faire l'objet d'une prochaine rubrique réservée aux artistes femmes. Maintenant, il faudrait trouver deux rédactrices (ou plus) prêtes à envoyer un "billet" hebdomadaire et là c'est pas gagné...

    8
    Vendredi 8 Mars 2019 à 15:59

    @Audrey bien sensible ton papier, il a le don de nous faire écouter Kate Bush autrement (davantage d'introspection du coup?) du coup je découvre ce titre en dehors de l'écoute que je faisais - superficiellement - de "The Sensual World"

    @Hervé mais aussi @Audrey

    Chouette longs échanges sur New Order. J'aime vus lire, surtout pour la part personnel que vous y mettez. New Order Comme les Smith arrivent à mes oreilles à un moment où la musique n'avait pas la place d'antan, alors que je lis chez vous une implication plus forte et c'est agréable. 

    J'ajouterai que New Order je les ai même longtemps éviter, du fait de Joy Division, Groupe mortifère qui vous entraîne vers hum? des abîmes. Quoique, les arrangements en studio y sont aussi autant que la vie de Ian Curtis. Quand j'ai découvert des live de Joy j'y ai entendu davantage de chair.

     

    Merci à vous deux

    9
    Audrey
    Vendredi 8 Mars 2019 à 16:19

    @devant: Pour ce qui est The Sensual World, ce n'est pas un album de Kate Bush que j'apprécie particulièrement. C'est vraiment ce morceau qui mérite à mon sens l'écoute.

      • Hervé Guilleminot
        Dimanche 10 Mars 2019 à 00:13

        The Sensual World est chez moi son meilleur album. Le plus abouti. Avec cette utilisation incroyable d'invités de prestige comme les Voix Bulgares. On retrouve d'ailleurs cette audace sur The Red Shoes avec ce titre donné en compagnie de Prince et des Voix Bulgares, Why Should I Love You.

        De toutes manières chez Bush, c'est du qualitatif de haute volée. Grande artiste dans le contrôle complet de son art. 

    10
    elnorton
    Vendredi 8 Mars 2019 à 17:23

    Kate Bush, je n'ai jamais trouvé la porte d'entrée pour accéder à son univers. C'est en effet trop référencé eighties pour que je sois envahi par mes émotions sur ce titre.

    Le morceau de New Order, je l'aime beaucoup, mais il ne déclenche pas chez moi de frisson. J'y perçois la tristesse, mais c'est plutôt une tristesse qui déclenche chez moi une forme de révolte, une pulsion de vie. Pas de place pour les frissons chez moi avec ce titre =)

    11
    Charlu
    Vendredi 8 Mars 2019 à 17:53

    C'est la plus belle chanson de Kate. J'avais pensé à elle, ou "Mysteries" de Beth Gibbons.. là je craque, c'est un grand disque en plus.

     

    New Order est à l'honneur ici ;D danser la dépression.. c'est bizarre les émotions..moi je ne m'attendais pas chez moi que ça fasse autant flipper ;D

    12
    Samedi 9 Mars 2019 à 08:40

    Deux choix qui font mouche.
    Bush , sa voix, sa musique, son perfectionnisme artistique ne dérogeant jamais à l'éthique...
    Que j'ai pu l'écouter.
    New Order a hanté ma période new wave et j'ai le souvenir de m'y être enfoncé loin, plutôt loin. J'ai un recul maintenant avec ces groupes mais pendant des années j'ai évité d'y retourner.
    Et belles chroniques...
    THX

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :